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Pour éco-concevoir, faut-il toujours faire une ACV ?

Faire une analyse de cycle de vie, cela demande des compétences, du temps, des ressources. Serait-il possible de faire de bons choix de conception, dans le sens d’une amélioration de l’empreinte environnementale du produit sur son cycle de vie, sans passer par la réalisation d’une ACV ? A l’heure où l’ADEME souhaite « massifier » l’éco-conception, la question n’est pas saugrenue. Voyons dans quels cas elle pourrait trouver une réponse positive…


Une première recommandation consiste, très en amont, à questionner le besoin : à ce niveau, les gains sont souvent si conséquents qu'un calcul est superflu. Par exemple, si au lieu de chauffer un bâtiment de bureaux d’un ou deux degrés de plus pendant la période hivernale, les salariés portent un pull au lieu d’une chemise légère, il est fort probable que la pertinence environnementale de la solution pourra être validée sans mener des calculs sophistiqués.


Ensuite, si à service rendu équivalent, il est possible de réduire la masse, le volume du produit, sans modifier les matériaux ni la technologie de production, alors là encore, il n’est pas nécessaire de faire une étude pour vérifier que les impacts environnementaux sont réduits. C’est ce que nous pourrions appeler un « choix sans regret ». Cette voie d’éco-conception s’applique bien aux emballages par exemple : réduire la taille de l’emballage sans modifier le matériau, l’impression, ni la quantité emballée, c’est un choix gagnant pour l’environnement – pas nécessairement en marketing, mais c’est une autre question, qu’il faudra traiter par un design plus attractif par exemple.


En dehors de ces deux cas, serait-il possible d’éco-concevoir avec de simples recettes « de bon sens » ? Nous pourrions aller chercher inspiration dans le futur Règlement Européen pour des produits durables, par exemple :

  • allonger la durée de vie, améliorer la réparabilité,

  • favoriser l’utilisation de matériaux recyclés, voire biosourcés,

  • ou encore alléger un produit mobile…

Nous allons voir que ces pistes qui semblent frappées au coin du bon sens sont dans certains cas de « fausses bonnes idées ».


Considérons l’allongement de la durée de vie : une thèse menée à l’Université du Michigan sur l’optimisation énergétique et économique des réfrigérateurs[1] montre que du fait des progrès réalisés sur la consommation énergétique des nouveaux modèles, au-delà d’un certain temps, il vaut mieux remplacer son réfrigérateur plutôt que de le faire durer : en effet, le gain énergétique offert par un nouvel appareil compense largement les impacts liés à sa fabrication.


Le cas des matières biosourcées est emblématique. Si leur usage présente l’intérêt de limiter l’épuisement des ressources non renouvelables, encore faut-il que les étapes de production agricole, d’extraction de la matière première, et de transformation chimique ne soient pas trop impactantes. Une thèse menée à l’Université de Sherbrooke[2] montre que les plastiques biosourcés présentent une meilleure performance que les plastiques pétrochimiques en termes de consommation d’énergie non renouvelable et d’émission de gaz à effet de serre, mais que ces bénéfices sont amoindris ou compensés par d’autres impacts sur lesquels les plastiques biosourcés sont moins performants, du fait notamment de la production des matières premières nécessaires à leur élaboration.

Un autre risque avec l’usage des matières biosourcées, et qui concerne également les matières recyclées, c’est de se focaliser sur un critère anecdotique par rapport à l’impact global du produit considéré. Par exemple, concevoir une coque en plastique recyclé pour un appareil électronique, ou un corps en bois pour une clé USB : cela va a priori dans le bon sens, mais on joue « sur l’épaisseur du trait », et c’est in fine une mauvaise utilisation des ressources de conception, qui devraient se focaliser sur la sélection de composants électroniques à moindre impact, ou une durée de vie étendue…


Le dernier contre-exemple concerne l’allégement des produits mobiles : voilà une piste qui semble pourtant bien robuste. Tout dépend des moyens mis en œuvre pour alléger le produit, et de sa durée de vie en termes de kilomètres parcourus – puisque c’est un produit mobile. Pour simplifier l’analyse, considérons que l’allégement est obtenu en substituant un matériau lourd et peu impactant par un matériau léger beaucoup plus impactant. Le graphique ci-dessous montre qu’au tout début de la phase d’usage, le produit le plus lourd, A, a moins d’impacts (Impact de Production de A, IPA) que le produit allégé, B (IPB). Pendant la phase d’usage, en raison de son moindre poids, le produit B va induire une moindre consommation d’énergie, d’où une pente plus faible que celle du produit A. Pour savoir si B est éco-conçu, il faut être capable de positionner sa durée de vie (exprimée en distance parcourue pendant la vie du produit) par rapport à la distance limite d correspondant à l’intersection entre les deux droites.



Ces trois exemples montrent qu’une approche « de bon sens » peut être trompeuse. C’est bien pour cela d’ailleurs que le futur Règlement Européen pour des produits durables combine les critères cités plus haut avec d’autres critères, comme par exemple

  • l’absence de substances préoccupantes

  • la consommation d’eau, d’énergie, de ressources sur l’ensemble du cycle de vie

  • les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie…

Cela résulte du fait que la conception d’un produit ou service implique de définir de nombreux paramètres, dont certains jouent de façon opposée sur la performance environnementale, ce qui conduit à des arbitrages ou des optimisations.


Pour éclairer ces choix, nous avons besoin de l’Analyse de Cycle de vie, qui joue le rôle du "juge de paix" : il permet de vérifier que les bénéfices attendus sont bien réels.

Cet éclairage peut être obtenu en réalisant l’ACV de son propre produit ou service, mais aussi en s’appuyant sur des études antérieures sur des produits similaires, ou encore des critères issus d’études ACV, et accessibles dans des guides d’achats responsables, ou bien dans des référentiels d’écolabels.

Notons que si l’on travaille de façon récurrente sur les mêmes technologies/produits, alors il est possible (et recommandé) de s'appuyer sur des critères techniques issus de l'ACV sans refaire une étude pour chaque nouveau produit. L’analyse des résultats de l’ACV permet d’identifier les critères clés, et d’en dériver des indicateurs simples : masse, consommation énergétique à l'usage, durée de vie, etc.


En conclusion, le bon sens reste une bonne boussole en éco-conception, mais en dehors des cas de "choix sans regret", il a besoin d’être éclairé par l’ACV.



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