Où l’on parle de football et de gastronomie…
Nous avons vu dans un précédent post comment définir l’unité fonctionnelle en amont de la réalisation d’une étude ACV, en nous appuyant sur 5 questions : Quoi ? Combien ? Pendant combien de temps ? Avec quel niveau de performance ? Où ?
Au-delà de la réponse à ces 5 questions, veillons à cultiver un certain bon sens.
Je me souviens avoir réalisé la revue critique d’une ACV sur des terrains de foot synthétiques comparés à des terrains de foot en gazon naturel.
Le service rendu est de permettre la pratique du football pendant 40h par semaine, entraînements et matchs, pour les différentes catégories de joueurs. L’étude présentait un biais dans la déclinaison de cette unité fonctionnelle en flux de référence.
En effet, un terrain en gazon naturel ne peut être utilisé qu’un petit nombre d’heures par semaine, disons 8h, faute de voir le gazon se transformer en terre battue ou en boue. Ce n’est pas le cas des terrains en gazon synthétique, que l’on peut utiliser aussi souvent que nécessaire chaque semaine, 40 heures ici. Les auteurs de l’étude en avaient donc allégrement conclu qu’il fallait comparer les impacts de 5 terrains en gazon naturel à ceux d’un seul terrain en gazon synthétique.
Si le calcul semble cohérent en théorie, il ne passe pas le test de réalité.
Allez demander à un maire d’installer 5 terrains de football en gazon naturel pour permettre la pratique du football ! La solution de référence serait plutôt un terrain d’honneur en gazon naturel, et un terrain d’entrainement en terre battue. Les impacts seront alors bien moindres que pour 5 terrains en gazon !
Dans le domaine des carburants, l’unité fonctionnelle régulièrement retenue est logiquement le MJ.
Unité fonctionnelle : l’affaire se complique dans le domaine de l’alimentation.
Dans ce secteur, les unités fonctionnelles varient, depuis le kilogramme d’aliment jusqu’à la quantité d’énergie en kcal voire même l’hectare cultivé. C’est le kilogramme d’aliment qui est le plus souvent retenu, mais son utilisation réserve parfois des déconvenues. Une ancienne étude de l’ADEME évaluait l’impact environnemental comparé du veau élevé de façon industrielle et de celui élevé « sous la mère ». Ramené au kilogramme, le veau nourri au lait en poudre avait beaucoup moins d’impact Carbone que son congénère nourri au pis de sa mère. Est-ce à dire pour autant qu’il faut abandonner les pratiques d’élevage traditionnel, qui seraient plus impactantes que les filières industrielles ? Rien n’est moins sûr !
D’une part, il faut considérer d’autres impacts que le changement climatique – c’est tout l’intérêt de l’approche multi-critère de l’ACV, et il y a de fortes chances pour que le veau « sous la mère » affiche une meilleure performance en termes de préservation de la biodiversité par exemple.
D’autre part, les deux kilogrammes de viande de veau peuvent-ils véritablement être considérés comme substituables ? Je ne le crois pas. En matière d’alimentation, il ne s’agit pas seulement de remplir des estomacs. L’apport calorique devrait être pris en compte. Mais également la dimension santé, liée à l’apport de nutriments, qui est évidemment essentielle. Gageons que le veau nourri au lait de sa mère dans une prairie apportera plus sur ce plan-là. Et puis la notion de goût, de plaisir, reste primordiale. C’est bien pour cela que se développent les filières de qualité, AOC, labels rouges et autres estampilles locales ou nationales. Parions que le goût, et la texture de la viande du veau nourri au pis de la vache seront plus appréciés que ceux de la viande du veau industriel. Manger est avant tout un acte culturel, et ignorer la qualité sensorielle de l’aliment, c’est passer à côté de l’essentiel.
Dans l’objectif de limiter nos émissions de gaz à effet de serre, les experts nous incitent à consommer moins de viande, tout en privilégiant la viande de qualité. Pour calculer de façon juste l’impact environnemental d’un tel régime, il faudra aller au-delà de la pratique courante qui appuie l’unité fonctionnelle sur le kilogramme d’aliment. Et au-delà même de l’aliment individuel, considérer le régime dans son ensemble pour en révéler les bénéfices...